UNSHIELDED: JOAO FREITAS
Offertes dans la simplicité des matériaux qui les composent, les œuvres de João Freitas s’exposent sans fards, ni ornements. Elles donnent à voir le spectacle de matières qui ont vécu sans concessions et qui se dévoilent telles qu’elles sont, des présences inertes auxquelles l’artiste a insufflé une nouvelle vie.
Il puise son inspiration dans la fragilité d’objets du quotidien qui portent en eux la violence du monde extérieur, à l’image de ces couvertures de livres ou de magazines abandonnés, séchées par le soleil et élimées par le vent (2,4,5) ou encore de ces affiches de publicités contrecollées, déchirées, délavées par les intempéries (3). Tous ces rebuts délaissés de la société ont été récupérés et choisis par l’artiste pour devenir le support d’une pratique à la fois attentive et incisive faite de déchirements, de découpes, de grattages ou encore de ponçages afin de découvrir l’intimité de ces objets. Leur apparence transcendée révèle alors une puissance et une beauté insoupçonnées.
Par ailleurs, il récupère également des matériaux bruts sortis d’usine comme ces planches de bois contreplaquées (1), ces couvertures grises (8) ou ces grandes feuilles de Tetra Pak (9,10,11) devenues trivialement des protections de chantiers mais dont il a su extraire le grain de leur substance. Une vie inattendue émane alors dans la léthargie de leur condition.
Il ira même jusqu’à utiliser les feuilles abrasives qui, d’habitude, lui servent à façonner d’autres œuvres mais qui, ici, se verront retravaillées avec force en ôtant patiemment chaque particule granuleuse l’une après l’autre à la pointe de métal pour laisser apparaître la toile de fond grisée, moirée, tramée car redevenue étrangement textile (6,7).
Ces éléments manufacturés révèlent alors, après le retrait de leur couche protectrice, leur processus de création tout autant que celui de leur dégradation possible. Ils perdent leur sens fonctionnel pour devenir des œuvres abstraites, des champs colorés où le regard se perd dans les diverses strates mais où il se heurte aussi, par à-coups, aux résistances du matériau marqué par les gestes qui l’ont altéré. Un va-et-vient perpétuel unissant poétiquement la pensée à la matière qui la génère car Il semble que la matière ait deux êtres : son être de repos et son être de résistance. On trouve l’un dans la contemplation, l’autre dans l’action[1]. Nous nous emparons de la première, l’artiste de la seconde...
Il nous montre ce qui est là sous nos yeux ; ce que l’on côtoie et ce qui, en sondant les apparences et en décollant le vernis du réel, s’offre au regard sans fioritures, ni excès.
L’idée n’est pas d’ajouter encore plus à cette société prônant le trop-plein où la multiplicité des images en surnombre n’incite plus à regarder véritablement. L’artiste nous invite à l’inverse à nous rendre compte du potentiel perceptif enfoui dans ce qui nous entoure, sans détours, toujours consciemment, voire méditativement.
Par ces éléments délaissés, retravaillés pour être ensuite exposés, João Freitas nous parle de notre mode de vie et de consommation, mais aussi du rapport subtil que nous entretenons avec les matières qui composent notre existence et qui se révèlent elles-aussi empreintes d’histoires multiples faites de douceurs et de violences partagées, d’une surface tactile parfois un peu farouche qui se révèle au toucher ou au regard bien affuté.
En somme, un travail à l’esthétique sobre sublimant l’ordinaire et qui égrène le passage du temps sur toute chose où l’obsolescence n’est plus une simple finalité mais le signe d’un possible renouveau.
- Catherine Henkinet