SELF-PLAY: HANNAH DE CORTE

1 Avril - 28 Mai 2022
Présentation

La picturalité tissée Par essence, un tableau existe dès le moment où une toile est tendue sur un châssis. Ensuite, cette structure tissée invite immédiatement à être recouverte. C’est dans ce moment de tension, juste avant que la toile ne devienne un «support», que l’artiste Hannah De Corte intervient et attire l’attention sur la picturalité potentielle et inhérente de la toile. Dans le passé, certains artistes comme Diego Velázquez, Jackson Pollock, Frank Stella et David Hockney, ont permis à la toile de jouer un rôle dans la surface de l’image. Toutefois, aucun d’entre eux n’a complètement abandonné la couche de peinture et laissé la toile parler pour elle-même. Ambassadrice de la toile, De Corte renverse constamment les rôles hiérarchiques de la «peinture sur la toile» et fait de l’étoffe tissée la protagoniste de sa peinture. Par son travail, elle étudie comment les couches traditionnelles d’une peinture, qu’il s’agisse d’encre, de peinture ou de vernis, peuvent servir la toile et déployer de manière ludique sa beauté et ses subtilités. En résumé, l’œuvre de De Corte nous montre que la toile tissée n’est pas seulement fonctionnelle en tant que support d’image, mais qu’elle révèle également sa capacité en tant que médium.

 

Lorsqu’un spectateur entre en contact avec l’œuvre de De Corte, il est confronté à une expérience visuelle intrigante à deux niveaux : de loin, il voit une surface subtile aux couleurs pastel, et en s’approchant, il est attiré vers une canvasness° appuyée. Pour son travail, De Corte sélectionne soigneusement son textile, qu’elle considère comme le plan de sa peinture. En conséquence, elle marque la toile nue soit par l’application d’une simple couche de vernis, d’un motif frontal de points individuels, soit en imbibant le dos de quantités copieuses de peinture et en laissant un voile impressionniste à l’avant. Tant dans l’acte de tension que dans l’application de ces techniques, elle respecte toujours le cours naturel du motif tissé. Ses monochromes, qui semblent calmes de loin, se révèlent être des mélanges optiques de couleurs générés par l’interaction entre les points d’encre vifs, la peinture acrylique diluée ou les effets de surface induits par le vernis, d’une part, et la grisaille naturelle de la toile, d’autre part.

 

Win, Lose or Draw est un exemple de toile-peinture abordée frontalement dans laquelle De Corte a méticuleusement teint des motifs de nœuds suivant le tissage. En tant que miniaturiste, elle rend ici hommage à l’aspect tissé de la toile dans la mesure où elle considère chaque nœud comme une mini-surface, comme un pixel qui a été matérialisé. Cette méthode de teinture contrôlée révèle non seulement la structure de la toile, mais aussi le processus de création et sa dimension temporelle. Bien que l’artiste conserve la littéralité de la toile dans son tableau, la combinaison de points colorés et d’intervalles de toile naturelle crée une image pointilliste qui provoque un effet moiré mettant à mal la mise au point et la persistance rétinienne.

 

Un deuxième type d’œuvre est illustré par Wanderer I. Ici, la peinture-toile est accentuée par le processus d’imprégnation de la peinture acrylique depuis l’envers. Le résultat est une nouvelle picturalité qui peut être considérée à la fois comme une extension et une inversion de celle développée dans les œuvres de Helen Frankenthaler et de Morris Louis : non seulement De Corte omet le corps de la peinture comme ses prédécesseurs, mais elle positionne la toile comme couche supérieure en la transformant en une grille de tamisage, qui détermine la quantité de couleur visible au recto. Ce faisant, l’artiste rend hommage aux revers des tableaux et leurs surfaces jamais exposées.

 

L’apogée des peintures sur toile de De Corte est Wanderer IV, où elle combine à la fois le motif de point frontal et les techniques d’imprégnation-par-l’envers pour générer une expérience optique 3D. Ici, l’effet de projection de l’espace vers l’avant se produit par une interruption newmanienne du motif frontal teinté, tandis que le voile coloré de la peinture imprégnée de l’arrière se répand sur toute la toile. Cependant, une fois l’approche double-face de cette œuvre saisie, on « sent « visuellement la finesse de la structure tissée, qui assure la littéralité de la toile.

 

Dans son travail, De Corte a introduit une nouvelle forme de peinture qui étudie le réarrangement de la stratification conventionnelle du médium afin de mettre en valeur son caractère de toile. Ce faisant, elle retrace et prolonge la longue évolution vers l’‘essence’ de la peinture.

 

-Stefanie de Winter

Vues de l'exposition