LABYRINTHUS: CARLOS CRUZ-DIEZ

26 Avril - 27 Juillet 2019
Présentation
LABYRINTHUS
Entrée libre dans la Couleur

 

Cette œuvre sonne comme le testament vivant de l’artiste sur tout ce qu’il a conçu et défendu comme théories et pratiques dans sa longue et prolifique carrière.



Tout d’abord, comme ses compagnons de route Jesus Rafael Soto et Julio Le Parc, fondateurs de l’art cinétique et optique, il conçoit l’œuvre d’art cinétique et optique comme une œuvre participative : le sujet regardant modifie par sa position et son mouvement dans l’espace, le sujet regardé. Ce mouvement est aussi du temps, introduction de la quatrième dimension dans l’art.



Ensuite, il considère que cette œuvre est la somme de l’objet et du sujet au cœur d’un lieu, d’un espace défini, dans toute la variabilité de ses expériences individuelles, raison pour laquelle il favorise, depuis le début de sa carrière, les installations dans des lieux publics, avec une visée assumée de démocratisation de l’objet d’art. L’art appartient à tous et tous en vivent l’expérience.



Enfin, ses recherches sur la couleur se fondent sur une attitude scientifique, car empirique, de l’expérience vécue, corporelle, sensorielle. L’œuvre n’est plus, autonome et distanciée, une proposition unilatérale de l’artiste vers le public. Public et artistes se trouvent indéfectiblement associés dans sa phénoménologie, constituant en quelque sorte un couple assumé par lequel l’artiste prend un recul amusé et attentif, quasi scientifique, sur l’effet produit sur et par le spectateur.


Comme chez Soto et ses pénétrables, ou comme chez Julio Le Parc et ses « Continuels lumière », l’artiste convoque le sujet regardant au cœur même de son œuvre, lui demandant d’en rendre compte par une expérience toute personnelle, individualisante, « réalisante ».


Le Labyrinthe de Transchromie ici construit est une invitation à cette expérience individuelle, comme une généreuse et enrichissante envie chez l’artiste de partager ce qu’il a imaginé sa carrière durant, offrant à chacun, d’où qu’il vienne, l’occasion de se retrouver confronté à lui-même, à sa perception, dans la transparence à l’autre.

Ce labyrinthe, à vrai dire, n’en est pas réellement un.



Il offre dans ses diagonales de longues perspectives, trouées rectilignes vers l’extérieur, ménageant des effets de surprise, et rassurant le promeneur sur la possibilité immédiate d’en sortir.



Ainsi, ce labyrinthe n’enferme pas, il ne cloisonne pas, il n’angoisse pas, il est en fait un lieu de convergence et de rencontre, où se retrouvent une humanité en recherche de sens et d’ouverture, communiant dans la couleur, dans le partage des sensations.



A mesure que l’on pénètre dans ce labyrinthe, l’autre n’y est pas absent : on le perçoit particulièrement net, où qu’il soit. Il est, lui aussi, entré dans l’expérience, et cette transparence est une possibilité du partage, de l’échange de ressentis.



Face à cette réalisation des sens et de l’esprit, deux références surgissent à l’esprit, issues respectivement de la mythologie grecque et de l’histoire de l’art occidental.



Le Roi Minos demande à Dédale, son architecte, de concevoir un labyrinthe pour dissimuler le monstre né de l’adultère de sa femme Pasiphaé avec un taureau. Tous les neuf ans, Égée, roi d’Athènes, sera contraint de livrer sept garçons et sept filles au Minotaure qui se nourrira de cette chair humaine. Thésée, fils d’Égée, sera volontaire pour aller dans le labyrinthe et tuer le monstre. Ariane, qui souhaite épouser Thésée, lui donne une pelote de fil afin qu’il puisse retrouver la sortie.

Ici, point n’est besoin de tuer ou d’être prisonnier. C’est libre que l’on entre dans ce labyrinthe, en l’absence de tout monstre. Ce rendez-vous archétypal du Labyrinthe nous plonge ici dans la couleur et la lumière paisible de la science et de l’esprit, là où le labyrinthe de Thésée symbolise le tabou, la violence, la peur et la mort. Le fil d’Ariane, c’est ici l’expérience esthétique et sensible, qui à tout moment nous fait sortir non du labyrinthe, mais de nous-mêmes, avec le sentiment cathartique d’une initiation.


Autre parallèle, dans l’histoire de l’art, cette fois. Dans la métaphysique néo-platonicienne médiévale, au début du 12ème siècle, l’abbé Suger, alors en charge de l’abbaye de Saint Denis près de Paris, exprime une forte et vibrante conception de la beauté comme forme lumineuse émanant de la source divine et permettant, par la contemplation d’objets transfigurés par la lumière, de remonter vers son origine, de moins en moins sensible et de plus en plus intellectuelle.


La Lumière, essence divine par excellence, révélant le juste, le bon et le beau, doit alors entrer dans les édifices religieux du Moyen Age occidental : c’est ainsi la rupture avec le style roman, obscur et trapu, et la naissance, à Saint Denis, du style gothique en architecture, lumineux et élancé, et avec lui, dans toute l’Europe, la création des merveilleuses verrières et rosaces de vitraux colorés.


Comment ne pas voir dans le travail de Carlos Cruz-Diez à l’endroit de cette transchromie une citation directe de la grande tradition du vitrail occidental, proposant par la lumière et la couleur, de sortir de la caverne obscure d’une époque matérialiste en mal d’ouverture et de tolérance, et d’ainsi accéder au juste et au beau ?


Entrer libre dans la couleur, comme dans un sas, et en sortir transformé mentalement et spirituellement... n’est-ce pas, pour un artiste, une des plus généreuse et immense proposition faite à l’adresse d’un public qu’il n’a cessé toute sa vie de charmer et de surprendre ?

Vues de l'exposition
Œuvres