LE LANGAGE DES OMBRES: FRANCIS DUSEPULCHRE
Nous présentons pour la première fois en solo l’oeuvre de Francis Dusépulchre (1934-2013).
Cet artiste inclassable, et dont la production extrêmement personnelle le rend particulièrement reconnaissable, avait déjà fait l’objet d’une présence appuyée et remarquée lors de l’exposition Sculpting Belgium, en 2017.
Ayant assuré depuis la promotion de Dusépulchre dans des foires en Belgique et à l’étranger, la galerie présente cette exposition personnelle qui était nécessaire autant qu’attendue, montrant des œuvres peu ou jamais vues du public, en provenance de l’atelier.
Le travail de Francis Dusépulchre n’est pas sans rappeler, par son minimalisme, certains aspects de l’oeuvre de Fontana, et pourtant s’en écarte par le propos: Dusépulchre ne nie pas la surface en la lacérant, il ne tranche pas le support pour créer une faille faite de noir et de couleurs. Il réalise, au sens de devenir réel, la surface picturale de ses panneaux cintrés, il remet en question le volume absent de ses caissons en plexi, habités par les seules arêtes de plans disparus, il voile légèrement les plans en les incisant, en les piquant d’un point de lumière, en les gauchissant et en les dotant de nervures pour mieux en interroger la nature, utilisant le monochrome sur des formes exclusivement orthogonales, du moins le croit-on, puisque rares sont en fait les angles droits et les parallèles, l’artiste se jouant de notre perception pour mieux nous attirer dans un piège visuel, non dénué d’humour d’ailleurs !
Avec ces reliefs, Dusépulchre poursuit la recherche spatiale entamée par ses aînés. En Belgique, le relief monochrome est envisagé dès 1950 par Jo Delahaut pour explorer la relation du tableau avec la surface murale et son environnement. Trois ans plus tard, Pol Bury expose ses premiers Plans mobiles à la galerie Apollo à Bruxelles, à côté desquels il ajoute l’écriteau «Veuillez toucher», incitant le spectateur à mettre en mouvement les formes géométriques de ces reliefs.
Au même titre que Paul Van Hoeydonck, Guy Vandenbranden, Gilbert Swimberghe, Francis Olin, Marthe Wéry ou encore Pál Horváth, Francis Dusépulchre appartient à cette génération d’artistes belges désireux d’élargir le champ de l’art abstrait né au début du siècle et dont les possibilités s’épuisent. Pour ce faire, ils innovent sur le plan de la forme mais aussi des techniques et des matériaux utilisés, toujours plus surprenants et tenant compte des évolutions technologiques de leur temps.
Acquéreur d’une scie sauteuse lui autorisant des incisions plus audacieuses, à partir de 1976, Dusépulchre incurve et galbe ses panneaux, veillant, par le mouvement contrarié de surfaces concaves et convexes, à accueillir au mieux les variations lumineuses. Les reliefs se nomment dès lors «Ondulations spatiales» et acquièrent par la même occasion un caractère plus sensuel. «La ligne va me servir à refermer un espace, à recréer l’intimité dans l’espace» ajoute-t-il.
Au fil du temps, Dusépulchre débarrasse son travail du superflu, pour ne conserver que ce qu’il estime essentiel pour convier le spectateur à un voyage mental, une expérience intime et sensorielle. «Tout ce que j’ai envie de dire, je le fais passer par le caractère de la forme», explique-t-il. Si les reliefs incisés témoignent déjà d’un style original, les Ombres dessinées, qui apparaissent en 1979, se démarquent encore davantage sur la scène artistique belge. La plupart du temps achromes, les reliefs incisés sont désormais entourés de caisses de Plexiglas qui participent elles aussi aux jeux d’ombre et de transparence qu’elles capturent, provoqués tant par les entailles du support que par les fils de nylon, fibres de verres ou de carbone, suspendus dans l’espace de la caisse.